
Ce mardi 15 juillet, elle avait décidé de l'issue de son rêve ou plutôt cauchemar. C'était fini. D'ici quelques heures elle serait en paix avec elle-même. Peu importe ce que tout le monde en pensera, la peine que cela causera, elle mourra dignement. Pas de traces de son corps, pas d'enterrement nocturne au pied d'un sapin à l'arraché aux fins fonds d'un bois. Elle mit la main dans la poche de son jean et en sorti son libérateur. Elle avait attendu toute la journée le moment idéal, sa montre affichait 16h44. Charlie rentrerait dans une heure et quart, c'était parfait. Elle pria un petit instant, hésitant encore à revenir en arrière. Non c'était décidé, elle irait jusqu'au bout. Elle embrassa du bout des lèvres, les yeux fermés le petit objet rectangulaire qu'elle avait substitué à Charlie .
Elle s'agenouilla à côté de la table basse et saisit Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll. Elle contempla la couverture un instant, se laissant envahir par la nostalgie de son enfance, de la lecture de ce conte.
- « Alice aussi a fait ce choix, celui de revenir parmi les siens. Sauf qu'elle, elle n'était pas face à un détraqué et qu'elle avait le choix. Ce n'est pas mon cas, je peux pas rester à croupir dans cette cave en attendant que la mort vienne me chercher. Non ! »
Elle ouvrit le livre et arracha violemment la première page, puis la seconde, les regardant virevolter en l'air et retomber en désordre sur la table. Ce geste lui fit du bien, elle extériorisait toute sa rage. Après en avoir fini avec l'ouvrage de Caroll elle passa à celui de Jane Austen, Virginia Woolf, Charlotte Brontë et déchira le plus de feuilles possibles. Elle saisit la dernière page de Mrs Dalloway et fit entrer en contact le coin inférieur de la feuille avec la flamme vive du briquet. Elle regarda la page se consumer lentement puis la jeta sur la table au beau milieu des milliers de pages arrachées. La table s'embrasa. Elle fut prise d'une sorte de folie. Elle se ruait sur les livres qu'elle pouvait trouver dans les étagères de la cave et déchirait chaque page, comme si elle était prise d'une frénésie. Elle les jetait toutes au sol. Elle se surprit même à danser et à rire. Elle se laisserait piéger par les flammes mais pas par Charlie. Cette idée la réjouissait, elle voulait être là pour voir la tête qu'il ferait quand il s'apercevrait que sa petite Rose est morte, non pire ; qu'elle s'est suicidée, qu'elle s'est immolée dans la cave.
Une fumée grisâtre commençait à envahir la pièce. Jackie s'arrêta un instant, le briquet en main et contempla son ½uvre. Le feu avait pris aux quatre coins de la petite salle de 8m² mais ce n'était pas encore assez. Elle respira l'odeur de brûlé et senti enfin la liberté proche.
- « Forcément, ce serait déjà fini si j'avais de l'essence » déclara-t'elle avec ironie.
Elle reprit de plus belle, brûlant les coins de pages, les admirant se laisser engloutir, impuissantes, par les flammes.
- « Maman, j'ai peur. J'ai super peur. Je voudrais que tu sois là, maintenant avec moi... Je ne veux pas mourir, j'ai pas envie de souffrir mais par dessus tout, je veux partir de cet endroit pour toujours. Je te demande pardon. Je peux plus vivre loin de toi, je n'ai plus d'espoir. C'est la seule et unique issue pour moi, pour nous. Je suis désolée de t'abandonner si lâchement, tu ne sauras jamais ce qui m'est arrivé et je m'en veux terriblement. Si tu savais comme je m'en veux... »
Elle laissa tomber le livre et le regarda se faire dévorer par les flammes. Elle en prit un autre.
- « Papa, tu es et resteras mon modèle, mon inspiration. Je t'aime et je ne te l'ai pas assez dit. Tu as toujours été là pour moi, même si tu étais un peu froid et distant... Au moins tu étais à mes côtés dans les bons comme dans les mauvais moments. J'ai toujours admiré ta force et ton intelligence. J'ai réfléchi, j'ai essayé de raisonner comme toi tu l'aurais fait mais je n'ai pas trouvé d'autre solution, il n'y en a pas. Je pense que dans cette situation tu aurais fait comme moi mais à la différence tu l'aurais fait plus tôt. Tu ne te serais pas laissé faire, tu ne te serais pas laissé détruire par quelqu'un. Tu aurais lutté. Je n'ai jamais pu faire le poids face à Charlie parce qu'il est à la fois si gentil et si cruel. Je n'ai pas la carrure pour m'imposer mais j'aurais aimé pouvoir me battre, je suis sûre de t'avoir déçu parce qu'aujourd'hui j'ai décidé d'abandonner, de mettre fin à mon calvaire quotidien. Aujourd'hui je suis obligée de te dire adieu alors qu'il y tant d'autres choses que j'aurais voulu te dire... C'est fini, je n'en aurais plus jamais l'occasion... »
Le livre subit le même sort que tous les autres, il se fit engloutir par les ondes orangées rouges qui dansaient autour de Jackie. Elle en prit un énième.
- « Puis il y a toi... Harry, mon Harry, mon petit mouton. C'est parce que je pensais tout les jours à toi que je n'ai pas sombré dans la dépression. C'est le fait de me remémorer ton sourire qui ravivait cette envie de vivre qui me délaissait parfois. C'est toi que je regretterai le plus là-haut, mais par pitié ne me rejoins pas. Jure-moi que tu réaliseras notre rêve, que tu tenteras de vivre de la musique. Prends ça comme un but, bats-toi pour notre avenir à tous les deux. Quand tu chanteras, tu pourras sentir mon c½ur battre dans ta poitrine, parce que je serai toujours à tes côtés peu importe où tu es. Je ne pourrais plus te toucher, plus sentir ton after-shave comme tous les matins, plus me battre avec toi pour savoir qui a mérité aujourd'hui le yaourt de Jim à la cantine... ». Elle laissa échapper un sanglot. « Comment vais-je pouvoir renoncer à tout ça... A tout l'amour que j'ai pour toi, à tout ce qui nous restait à vivre. Ça m'est insupportable... Cette idée m'est insupportable et à l'heure d'aujourd'hui, c'est sortir de cette prison qui est mettra fin à ma souffrance comme à l'amour que je n'ai jamais cessé d'éprouver pour toi. Je suis tellement, tellement désolée Harry... »
Elle balança violemment l'ouvrage au c½ur des flammes. Elle s'agenouilla par terre et fondit en larmes. La fumée commençait à se répandre dans sa trachée, elle suffoquait. Son temps était désormais compté, la fin approchait à grand pas. Elle saisit le quatrième livre qu'elle s'apprêtait à regarder brûler avec passion. Prise d'un vent de panique, elle saisit son cou à deux mains, elle ne pouvait plus respirer. Elle pencha son corps en avant, prise de l'envie de vomir mais rien ne vint. Ses yeux étaient rouges et humides, le gaz toxique qui s'échappait du feu était en train de ronger ses organes internes. Elle sentait ses poumons s'enflammer. Elle se laissa prendre par les vertiges, perdit l'équilibre et dans une ultime tentative pour trouver de l'oxygène s'effondra inerte contre le carrelage chaud de la cave encerclée par son incendie, son libérateur.





Never-Say-Nerver, Posté le lundi 21 avril 2014 09:00
FELICITATIONS pour m'avoir mis les frissons, pour avoir réussi à me faire verser des larmes