
« Je ne veux pas d'internes pour s'occuper de ma fille, vous m'entendez ? »
« Bien M. Mayfair... Dr Sanders, Jordan et Lucas veuillez sortir s'il-vous-plait. »
Bruits de pas suivis d'un léger claquement de porte.
« Vous êtes resté auprès d'elle toute la nuit, vous avez noté quelque chose d'étrange dans son comportement. »
« Attendez, vous voulez pas que je fasse votre boulot tout de même. Je veux savoir quand elle va se réveiller. C'est votre rôle de répondre aux questionnements des parents, de les rassurer. »
« Écoutez, elle a été réanimée dès son arrivée à l'hôpital par chance. Elle devrait reprendre conscience d'ici quelques heures. »
« Eh bien voilà ce que je voulais entendre. Merci Docteur. »
« Au fait, il n'y a aucun dossier répertorié au nom de Rose Mayfair, vous voulez qu'on importe les données d'un autre hôpital, où vivez-vous ? »
« Vous savez on déménage beaucoup ces derniers temps, je ne sais plus à quel hôpital est resté le fichier informatique de Rose... Je suis désolé. Mais je vous l'ai dit, pas besoin de connaître ses antécédents, elle a fait une intoxication, je l'ai retrouvée inconsciente dans sa chambre. »
« Bien, je n'insiste pas dans ce cas. »
Bruits de pas, grincements de porte. Un long soupir. ]
Jackie sentit une déflagration jaillir à l'intérieur de son crâne. Ne voulant pas bouger, elle se contenta de subir la douleur en tentant tant bien que mal de se détendre. Elle entendait un « bip » mécanique raisonnant et tentait d'identifier les voix autour d'elle en gardant les yeux fermés. Elle s'étonna de se savoir vivante et se demanda où elle était et dans quel état. Elle sentit un objet visqueux posé sur son nez, une sorte de ventouse qui lui projetait de l'air, mais paniquait, elle ne sentait ni ses bras, ni ses jambes. Elle plia doucement les doigts, pour ne pas attirer l'attention sur elle. Quelqu'un était resté auprès d'elle, elle avait reconnu sa voix. Cette voix qu'elle espérait ne plus jamais entendre. Elle ne savait pas quoi faire, attendre, simuler un coma éternel ? Ça paraissait une bonne idée mais même la personne la plus tordue de ce monde ne tiendrait pas. Elle allait devoir se réveiller et donner des explications à Charlie, elle redoutait ce moment, ses yeux noirs. Elle imaginait sa rage et en même temps elle était curieuse de savoir où elle se trouvait, ce qu'était devenu la cave. Son désespoir si profond l'avait-il trompé, son incendie n'était-il qu'un rêve ? Elle avait besoin d'avoir des réponses à ses questions. Elle prit son courage à deux mains et souleva lentement ses paupières. Elle aperçut en face d'elle un mur blanc, au milieu une vitre donnant sur des arbres surplombés par le ciel. Elle eut le temps de le voir. Il était assis à gauche du lit dans un fauteuil miteux. Il n'attendait que ça, son réveil.
Est-il inconscient ? Elle regarda à sa droite, une machine traçait une ligne ondulée en mesure avec les battements de son c½ur. Ils étaient enfin sortis de la maison. Elle n'était plus prisonnière. Ce fut une victoire partielle pour Jackie qui se félicita. C'était peut-être sa chance. Elle n'avait pas réussi à mourir mais là, elle n'échouerait pas dans sa fuite. Elle imagina un million de chose, un moment où elle serait seule avec le médecin, le moment où elle prendrait sa douche. Elle laissa le fruit de son imagination dériver, les occasions n'allaient pas manquer ici. Elle se laissa aller à penser à ses retrouvailles, l'arrestation de son « père ». Elle fut prise de tristesse, elle ne voulait pas que Charlie finisse en prison. Paradoxalement, il ne méritait pas ça. Il ne lui avait jamais fait aucun mal, l'avait toujours traité avec tendresse et respect. La seule chose qu'il n'a jamais voulu lui accorder c'était la liberté, un peu d'air frais. Mais elle ne lui en voulait pas pour autant, elle s'était faite à cette routine malgré tout et se sentait mal à l'idée de le laisser livré à lui-même.
En même temps cette compassion était-elle réciproque ? Aurait-il pitié d'elle ? Aurait-il pitié de son acte délibéré ? Elle avait peur d'avoir perdu sa confiance a tout jamais maintenant qu'elle avait tout raté... Elle devrait affronter ses réactions. Pour se donner du courage, Jackie repensa à ce qu'Harry lui disait toujours lorsqu'ils avaient un oral à passer au collège : « On passe les premiers, comme ça se sera fait. Regarde là on stresse comme des malades mais dans quinze minutes on soufflera et on rira de l'angoisse des autres ! ». Elle ne put s'empêcher de sourire se remémorant cette phrase et les yeux de son ami.
« Rose, ma belle, tu es réveillée ? »
Son sang se glaça d'un coup, elle avait été prise de court. Il s'était aperçu de son réveil avant qu'elle ait pu préparer ce qu'elle allait dire. Elle se redressa. Ses bras tremblaient. Elle s'installa à peu près confortablement et balaya du regard la pièce jusqu'à atteindre les prunelles sombres de Charlie.
« Comment te sens-tu ? »
« Bien, je crois... »
Ses propos semblaient trop louches... Il était sensé s'énerver, lui hurler dessus, se poser des questions... Pas rester impassible comme il le faisait à cet instant. Quelque chose clochait dans son attitude, elle ne savait pas encore ce que c'était mais il n'y avait aucun doute. Elle n'allait pas tarder à le découvrir.
« Tu sais je suis content qu'il ne te soit rien arrivé de grave. J'ai eu vraiment peur tu sais. Je suis rentré juste à temps pour te sortir de cette fournaise. Tu as eu de la chance que je sois arrivé à cet instant. »
De la chance... ou pas... Il se leva de la chaise et vint s'asseoir sur le rebord du lit d'hôpital. Il attrapa la doublure de sa veste en cuir. Il lui dévoila la partie inférieure de son revolver sortant de sa poche intérieure, s'assura qu'elle l'avait bien vu. Elle hocha la tête.Il lui avait fait comprendre qu'elle avait intérêt de se tenir à carreau. Connaissant le fonctionnement de Charlie, elle aurait dû s'en douter, tout était un peu trop rose. Ses rêves d'évasions s'écroulèrent un à un mais elle ne perdait pas espoir. Cette fois-ci, elle n'abandonnerai pas sa liberté, qu'importe le prix à payer.
« Rose... Je voudrais une réponse franche à ma question. As-tu mis le feu chez nous ? »
« Ce n'est pas chez nous comme tu dis, c'est chez toi. J'ai déjà un chez moi, c'est toi qui m'en prive. »
« Très bien, juste un mot alors. Accident ou préméditation ? »
« Qu'est-ce-que ça changerait pour toi ? »
« Tu as conscience que maintenant on est à la rue ? Que ça va être dur de trouver un logement comme ça d'un coup... »
« Peut-être que c'est ce que je voulais. »
« Sincèrement, je ne te comprends pas sur ce coup-là... J'essaye d'être le meilleur père qui soit, je t'apporte ce qui te fait plaisir, je t'offre un toit, de quoi te nourrir... Je n'arrive pas à cerner ton comportement. Tu es insolente avec moi, tu ne veux même pas me raconter ce qui s'est passé... Il faut que je sois plus sévère ? C'est ça que tu veux ? »
Il y eut un long silence. Elle réfléchissait, elle repensait à la dispute qu'ils avaient eu après son absence mystérieuse. Il savait, il avait conscience qu'elle n'était pas sa fille. Mais quelle était sa motivation pour séquestrer la fille d'un autre ? Pourquoi cherchait-il absolument à la garder auprès de lui ? Charlie était décidément trop complexe, trop malade, trop dangereux. Et pourtant il était là, assis à côté d'elle. Personne n'avait dû lui demander son identité, ni fouillé ses poches. Il était dans une chambre d'hôpital avec une arme. Jackie jura que si elle s'en sortait elle se ferai porte-parole de la sécurité des hôpitaux anglais. Personne ne savait qui elle était vraiment, comment avait-il fait d'ailleurs pour fournir sa carte d'assurance ? Etait-elle là clandestinement ? Toutes ses questions n'avaient pas de réponses et pourtant ce sont elles qui pourraient permettre d'enclencher la phase de libération.
« Je n'ai pas mis le feu ! Cette lampe est une vraie antiquité. En faisant un geste brusque, elle est tombée de la table et a enflammé d'un coup le livre qui était à côté et je n'ai pas réussi à l'éteindre. Je suis désolée... »
Jackie mourrait d'envie intérieurement de revendiquer sa rébellion mais stratégiquement, il était dans son intérêt de faire profil bas. Elle était dehors, avait une chance d'échapper à son sort et de tromper la vigilance de Charlie. Et pour cela, elle était prête à commettre l'irréparable si elle en avait l'occasion.
« Tu sais Rose, j'ai bien réfléchi. On pourrait repartir à zéro tous les deux. On se trouverait un endroit pour vivre où je t'accorderai plus de liberté, tu aurais le droit de sortir, de respirer un peu. La seule chose qui me hante c'est de te perdre. Je n'y arriverai pas, pas une seconde fois. Tu ne peux pas savoir ce que ça fait à un père de trouver sa fille sans vie dans sa chambre, de hurler, d'appeler à l'aide. De ne pas avoir de réponse. D'avoir l'habitude de se débrouiller seul et d'échouer dans son rôle de parent, dans son rôle de protecteur. Hier soir, j'ai vraiment cru que c'était trop tard. »
« Parce que la cave tu appelles ça une chambre ? J'y meurs de froid tous les jours depuis trois ans et demi et tu penses que je considère cette pièce comme ma chambre ? Je ne veux plus rester avec toi parce que je connais le sort que tu me réserves. Tu vas trouver une autre maison pour mieux m'abandonner, je ne veux plus de tes paroles en l'air Charlie. Il n'y a jamais eu de toi et moi, je ne suis rien d'autre qu'une pauvre fille que tu as arraché à sa famille et qui meurt de... »
On toqua à la porte. L'infirmière entra avec grâce, un grand sourire pendu à ses lèvres. Elle resta dans l'entrée de la chambre avec un attirail de machines.
« Rose Mayfair, c'est bien ça ? »
« Oui c'est bien elle » s'empressa de répondre Charlie.
« Je passe juste prendre vos constantes. »
Elle fixait Charlie, puis commença à s'avancer vers Jackie. Il avait une voix intimidante et sa réponse avait été si froide. Elle en avait été glacé sur place mais professionnelle en toute circonstance, elle n'y prêta pas attention.
« Vos constantes sont bonnes mais votre saturation est encore limite. Le médecin est passé vous voir à propos de votre sortie ? » dit l'infirmière en ôtant le brassard du bras de la patiente.
« Non... » répondit Jackie d'une voix faible.
« Eh bien de ce que je sais, vous restez cette nuit en observation et vous pourrez sûrement sortir demain. » annonça t-elle en souriant.
« C'est une bonne nouvelle, merci. » s'empressa de dire Charlie.
Son comportement avait vraisemblablement changé à l'annonce de la nouvelle. Etait-il contrarié de devoir rester ici. Probablement, il n'avait plus aucun endroit où aller et il avait pris d'énormes risques en venant ici. Sauver Jackie le mettait en danger, il n'avait jamais été aussi vulnérable. Il frémissait presque à chaque pas qu'on entendait dans les couloirs à travers les murs en papier de la chambre. Jackie était épuisée, elle n'arrivait plus à garder ses yeux ouverts. Son évasion attendra, elle ne contrôla pas ses paupières qui se refermèrent à mesure que le sommeil s'empara d'elle. Elle eut juste le temps d'entendre la conversation entre Charlie et l'infirmière avant que cette dernière ne quitte la chambre.
« Nous vivons loin d'ici, je vais dormir avec elle cette nuit. Vous pensez que c'est possible. » demanda Charlie.
« Bien sûr, nous vous apporterons un lit pliable tout à l'heure. Mais il nous faut une autorisation. »
« Je suis son père, vous voulez voir ma carte d'identité ? » il plongea sa main dans la poche intérieure de sa veste.
« Non je pense que ça ira. Vous avez une très jolie fille. » dit-elle en souriant.
« Je suis conscient de la chance que j'ai. » s'exclama-t'il en lui rendant son rictus.



Never-Say-Nerver, Posté le lundi 21 avril 2014 09:25
Mais je sais pas pourquoi j'ai le pressentiment que quelque chose de bien va se passer